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Chapitre 6  Substitution tritonique, Tonicisation

Nous avons vu l’importance de la cadence parfaite dans l’harmonie majeure. Nous allons maintenant voir une sorte de variante de la cadence parfaite, puis dans un 2ème temps l’utilisation de cadences parfaites non tonales - c’est à dire dont le 2ème accord n’est pas le 1er degré de la gamme.

6.1  Substitution tritonique

Une bonne partie de la sensation de résolution que procure la cadence parfaite est liée à la résolution du triton tonal :

En fait, il y a un autre accord 7 contenant (par enharmonie) le même triton. C’est l’accord dont la fondamentale est située à un triton d’écart de celle de notre accord de départ. Par exemple, si on prend C7, il contient le triton E-B♭, et F#7 contient le triton A#-E qui est le même par enharmonie.

Voici la liste des substitutions tritoniques, ainsi que les tritons correspondants.

  triton
C7F#7mi si♭ = mi la#
F7B7la mi♭ = la re#
B7E7re la♭ = re sol#
E7A7sol re♭ = sol do#
A7D7do sol♭ = do fa#
D7G7fa do♭ = fa si
G7C7si♭ fa♭ = so♭ mi

Conséquence de tout ceci, on va pouvoir, dans une cadence parfaite, remplacer l’accord V7 par l’accord ♭ II7 qui est sa substitution tritonique.

▷ Attention, il faut pas faire ça n’importe où sauvagement : il faut que la mélodie s’y prète : si V7 et ♭ II7 partagent des propriétés harmoniques, ils n’induisent pas les mêmes mélodies - en particulier, le premier accord est diatonique, mais pas le second. Si vous êtes pianiste et que vous vous amusez à substituer un D7 à un G7 pendant que votre saxophoniste est en train de tenir un ré, il va peut-être vous en vouloir.

Regardez et écoutez ce que cela donne :

Il y a toujours un mouvement de résolution du triton :

Le changement le plus significatif par rapport à la cadence parfaite originale est le mouvement de basse : au lieu d’avoir un mouvement très fort en quinte, on a un mouvement conjoint plus subtil d’une seconde mineure.

Une résolution ♭ III se notera par une flèche en pointillé :

La substitution tritonique peut être utilisée assez largement pour réharmoniser une grille - et est souvent utilisée de façon inopinée par les bassistes et les instruments harmoniques. Il faut ouvrir ses oreilles…

Exercice 94 ()    

Distinguer les cadences parfaites et les cadences II7I.

Exercice 95 ()     Effectuez une substitution tritonique dans les cadences parfaites suivantes :

La substitution tritonique fait appel à un accord qui n’est pas diatonique à la tonalité en cours. On verra qu’il s’agit d’une pratique assez courante - qui relève de ce que l’on appelle parfois l’harmonie chromatique. Lorsque l’on chiffre un tel accord étranger dont la fondamentale n’est pas diatonique à la gamme, l’usage veut qu’on écrive l’altération avant le degré et non pas après. Par exemple, on écrira ♭ II7 et non pas II7. À titre d’exercice, chiffrez les accords étrangers dans notre grille-exemple. Comme ces accords ont des notes qui n’appartiennent pas à la tonalité, on ne peut pas déduire leur nature à partir de leur degré. On indique donc explicitement celle-ci.

6.2  Tonicisation

6.2.1  Tonicisation par des accords de dominante

La tonicisation est un autre exemple de progression faisant appel (en général) à un accord non diatonique. Il s’agit du fait d’approcher un accord (dans un premier temps diatonique) par l’accord de dominante situé une quinte au-dessus (ce qui revient un peu à considérer l’accord cible comme un accord de tonique transitoire). L’accord de dominante utilisé est appelé dominante secondaire.

accord diatoniqueaccord d’approche 
IΔV7cadence parfaite
II−7VI7 
III−7VII7 
IVΔI7 
V7II7 
VI−7III7 
VII#IV7peu utilisé

Voici un premier exemple simple. Partons de la grille suivante.

Il s’agit d’une cadence parfaite en C♭ , que nous pouvons chiffrer de la façon suivante :

Si nous tonicisons l’accord V, cela peut donner :

que l’on pourrait chiffrer ainsi

(attention, il faut noter II7 et non pas II, l’accord diatonique à la gamme étant II−7). Cette notation fait apparaitre cette séquence comme une sorte de IIVI où l’accord II−7 est remplacé par un accord II7.

On peut également chiffrer l’accord de dominante qui sert à toniciser V/? (lire «cinq de ?» ) où ? est le degré tonicisé, pour mettre en avant la tonicisation par rapport au degré de l’accord :

En fait, on va même pouvoir toniciser des accords étrangers, y compris des accords 7 qui tonicisaient eux-même un autre accord, etc…d’où parfois des cascades d’accords 7 suivant le cycle des quintes. (voir par exemple Jordu).

Par exemple, repartons de la grille précédente :

et tonicisons le deuxième accord :

ce qui peut se chiffrer de plusieurs façons :

(cette notation fait ressortir la ressemblance avec un anatole)

(celle-ci met plus en valeur les tonicisations)

Parfois, on voit aussi noté V/V pour les V en cascade : la raison est que ce qui nous intéresse est justement que l’on a une cascade d’accords de dominantes, mais qu’on ne se préocuppe pas de leurs degrés successifs:

Exercice 96 ()     Toujours sur notre grille exemple, repérez les accords qui sont tonicisés, et notez les comme des cadences parfaites.  

 

Autour de l’anatole I

Partons d’un anatole, en D par exemple :

chiffré de la façon suivante :

Nous pouvons toniciser l’accord V, ce qui conduit au chiffrage suivant,

qui correspond à la grille

Repartant de la grille de départ, nous pouvons également toniciser l’accord II, ce qui conduit au résultat suivant :

Exercice 97 ()    

Toniciser maintenant l’accord VI.

Utilisation de substitutions tritoniques

On a vu que l’on pouvait remplacer des accords de dominante par leur substitution tritonique. On peut donc utiliser l’accord de dominante situé un demi-ton au-dessus d’un accord pour le toniciser, comme par exemple dans la séquence

Dans ce cas, on note souvent la résolution avec une flêche en pointillés, pour faire la différence avec une cadence parfaite VI.

Exercice 98 ()    

Repérez sur notre exemple ce type d’enchainement.

Autour de l’anatole II

Reprenons notre anatole en D :

Tonicisons l’accord V à l’aide d’une substitution tritonique. On obtient

6.2.2  Tonicisation grâce à des II-V

Nous venons de voir qu’il est possible de faire précéder tout accord par un accord de dominante qui résout sur lui. On peut aller plus loin et faire préceder un accord par un II-V qui résout sur lui. Il est également possible d’utiliser des substitutions tritoniques dans ces II-V.

Par exemple, pour toniciser un accord de C par ce moyen, on a les possibilités suivantes:

Un exemple classique est celui du blues. Il y a des tas de façon de construire de nouvelles grilles de blues à partir de la grille de départ que nous avons déjà vue:

Par exemple, on peut substituer un IIVI à la cadence parfaite de la dernière ligne, ce qui nous donnerait ceci:

Puis on peut maintenant toniciser le premier accord de la troisième ligne. Voici le résultat.

Beaucoup de blues célèbres sont (presque) basés sur cette version modifiée de la grille de blues de base. On peut citer par exemple Straight, No Chaser de Thelonious Monk, ou encore Now’s The Time de Charlie Parker.

On commence à entrevoir un procédé de mise en cascades de IIV, qui peut conduire à des grilles beaucoup plus complexes, comme celles des blues dits suédois, comme par exemple Blues for Alice de Charlie Parker.

Autour de l’anatole III

6.3  Vsus4 7

Voici une autre façon classique de réharmoniser un IIVI :

L’unique différence par rapport à un IIVI est la basse du premier accord : il s’agit du degré V de la gamme. Les dynamiques linéaires sont donc les mêmes que pour le IIVI, à l’exception de la ligne de basse qui reste identique sur les 2 premiers accords. Le résultat est une séquence harmonique plus subtile.

Regardons maintenant le premier accord obtenu :

Il s’agit simplement de l’accord II avec V comme basse, d’où la notation II/V ou D−7/G en C. Il y en fait une autre façon d’interpréter cet accord. Si nous raisonnons à partir de G, cet accord contient la 5nte (D), la 7ème (F), la 9ème (A) et la 4rte (C). Si nous faisons abstraction de la 9ème , nous obtenons l’accord suivant, remis sous forme fondamentale :

Il s’agit d’un accord de 7ème sans tierce, noté G7 sus 4 (prononcer G7 sus 4, ou G7 suspendu). Suspendu signifie que la 4rte est perçue comme une note de passage, une suspension appelant la résolution vers la tierce.

Notre séquence devient donc :

Cette séquence contient un mouvement 4 → 3, similaire au 7 → 3 du IIVI.

V7sus4 est donc un nouvel accord diatonique à la gamme majeure, et ayant une fonction plagale. La séquence V7sus4VI est extrèmement utilisée pour réharmoniser un IIVI (de fait, il suffit au bassiste de changer de note pour obtenir cette réharmonisation).


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